Dépôt des comptes annuels : injonction de dépôt obtenue sur le fondement du droit commun
Les relations entre une société par actions et les entreprises distribuant ses produits ayant été rompues, celles-ci demandent en référé au président du tribunal de commerce que la société, qui n’a pas déposé ses comptes annuels au greffe depuis plusieurs années, soit condamnée à le faire sous astreinte. La société conteste la recevabilité de la demande en opposant divers arguments, que la Cour de cassation vient d’écarter.
Tout intéressé peut demander au président du tribunal de commerce d’enjoindre sous astreinte au dirigeant d’une société de déposer au greffe les pièces et actes soumis à publicité au registre du commerce et des sociétés, tels les comptes annuels pour les sociétés par actions, les SARL et certaines sociétés en nom collectif (C. com. art. L 123-5-1).
En l’espèce, les anciens distributeurs avaient agi contre la société, non pas sur le fondement de ce texte, mais sur le fondement des articles L 232-23 du Code de commerce, qui impose à toute société par actions de déposer au greffe ses comptes annuels, et 873, al. 1 du Code de procédure civile, qui autorise le président du tribunal de commerce à prescrire en référé toute mesure conservatoire destinée à faire cesser un trouble manifestement illicite.
La société contestait la recevabilité de l’action en faisant valoir que l’action en référé tendant à assurer le respect de l’obligation de dépôt des comptes ne peut être exercée que dans les conditions de l’article L 123-5-1 du Code de commerce, de sorte qu’elle doit être dirigée contre le dirigeant social et non contre la société elle-même.
La Cour de cassation écarte cet argument : ni l’action spécifique prévue à l’article L 123-5-1 ni même celle prévue à l’article R 210-18, al. 2 de ce Code (lequel permet à tout intéressé, en l’absence d’accomplissement d’une formalité de publicité ne portant pas sur la constitution d’une société ou sur la modification de ses statuts, de demander en référé au président du tribunal de commerce de désigner un mandataire chargé d’accomplir la formalité) ne sont exclusives de celle fondée sur les dispositions de droit commun de l’article L 232-23 du Code de commerce, qui font obligation à toute société par actions, et non à son dirigeant, de déposer ses comptes.
Les anciens distributeurs, qui justifiaient d’un intérêt à demander le dépôt des comptes, étaient donc recevables à agir contre la société en application des articles L 232-23 et 873, al. 1 précités.
Cette solution, inédite, est transposable aux SARL et aux sociétés en nom collectif, elles aussi tenues de déposer leurs comptes annuels (C. com. art. L 232-22 et art. L 232-21).
L’action engagée en référé sur le fondement de l’article 873, al. 1 du Code de procédure civile pour faire cesser le trouble manifestement illicite tenant au défaut de dépôt des comptes doit être dirigée contre la société et non contre son dirigeant.
En outre, le demandeur doit justifier d’un intérêt à agir, conformément au droit commun de la procédure civile.
Rappelons que, à l’inverse la demande d’injonction formée sur le fondement de l’article L 123-5-1 du Code de commerce n’est pas subordonnée à l’existence d’un intérêt particulier (Cass. com. 3-4-2012 no 11-17.310 : RJDA 7/12 no 683).
La société contestait aussi la recevabilité de l’action en faisant valoir que celle-ci, fondée sur le droit commun de l’article L 232-23 du Code de commerce, était soumise à la prescription triennale de l’article 1844-14 du Code civil (aux termes duquel les actions en nullité des actes de société se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue) et devait être exercée dans un délai de trois ans à compter du jour où le demandeur connaissait ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Selon la société, l’action, formée en 2016, était prescrite car engagée plus de trois ans après la première violation de l’obligation de dépôt des comptes (en 2009).
Cet argument est également écarté par la Cour suprême : la société n’ayant pas déposé ses comptes au greffe pour les exercices clos le 31 décembre des années 2008 à 2015, il y avait lieu de lui enjoindre de le faire afin de mettre un terme au trouble manifestement illicite résultant de ce manque de transparence, sans que puisse être opposée la prescription fondée sur l’article 1844-14 précité.
Par cette solution, fondée sur le respect de la transparence qui s’impose aux sociétés tenues de déposer leurs comptes, la Cour de cassation paraît soustraire la demande d’injonction fondée sur le droit commun à tout délai de prescription, y compris le délai de droit commun de cinq ans prévus à l’article 2224 du Code civil.
A l’inverse, l’Association nationale des sociétés par actions (Ansa) estime que la demande d’injonction fondée sur l’article L 123-5-1 du Code de commerce est soumise à la prescription de cinq ans et ne peut donc porter que sur les comptes de l’exercice écoulé et des quatre exercices qui précèdent (Communication Ansa, comité juridique no 18-004 du 7-2-2018 : BRDA 8/18 inf. 2).
L’arrêt commenté contredit-il cette opinion ? L’action des anciens distributeurs n’ayant pas été engagée sur le fondement de l’article L 123-5-1, la question reste ouverte.
Source : Cass. com. 3-3-2021 n° 19-10.086 F-P, Sté Copirel c/ Sté Saint-Priest Meubles et décoration