Port du voile : pas d’interdiction pour atteinte à l’image commerciale en l’absence de clause de neutralité
Dans un arrêt du 14 avril 2021, la Cour de cassation rappelle qu’en l’absence de clause de neutralité dans le règlement intérieur, l’interdiction faite à une salariée de porter un foulard islamique, caractérise une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses. Elle ajoute, conformément à sa ligne jurisprudentielle, que l’attente des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de vêtements ne saurait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante permettant de justifier cette interdiction.
La Cour de cassation a déjà reconnu, dans un arrêt de 2017, la possibilité d’insérer dans le règlement intérieur une clause de neutralité, c’est-à-dire une clause générale permettant d’interdire le port de signes religieux, politique ou philosophique dès lors que le salarié est en contact avec la clientèle. Il faut toutefois noter que si le règlement intérieur ne contient pas une telle clause, cette interdiction ne sera possible que s’il existe « une exigence professionnelle essentielle et déterminante ».
La Cour de cassation rappelle ces règles dans un arrêt du 14 avril 2021 et précise que l’atteinte à l’image de l’entreprise (argument utilisé par l’employeur) ne justifie pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Le licenciement d’une salariée en raison de son refus de retirer son voile lorsqu’elle est en contact avec les clients est de ce fait considéré comme discriminatoire, et donc nul, en l’absence de clause de neutralité.
En l’espèce, une vendeuse d’une enseigne d’habillement est venue travailler en portant un foulard dissimulant ses cheveux, ses oreilles et son cou. Après avoir refusé de le retirer, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse. La salariée a saisi le Conseil des Prud’hommes pour discrimination en raison de ses convictions religieuses. Elle obtient la nullité de son licenciement en appel. L’employeur se pourvoit en cassation en cherchant à démontrer l’existence d’une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » en se fondant notamment sur :
– « la nature de l’emploi de vendeuse de la salariée, car cet emploi impliquait un contact direct avec la clientèle » ;
– « l’image de marque » de l’entreprise « et son choix de positionnement commercial, destiné à exprimer la féminité de sa clientèle sans dissimuler son corps et ses cheveux, au moyen de magasins conçus pour mettre en valeur les produits de l’entreprise » ;
– le « caractère spontané, ostentatoire et permanent des modalités d’expression [des] convictions religieuses retenues » par la salariée, compte tenu de la « durée pendant laquelle [elle] avait elle-même exercé ses fonctions sans porter de foulard ».
L’employeur a également précisé qu’il existait une politique de neutralité, même si celle-ci ne provenait pas formellement d’une clause figurant dans le règlement intérieur.
Aucun de ces arguments n’a été retenu par la Cour de cassation, qui a confirmé la nullité du licenciement fondé sur un motif discriminatoire (C. trav., art. L. 1132-4).
La Haute juridiction avait déjà fait du règlement intérieur (ou de la note de service) le support essentiel de l’instauration d’une politique de neutralité au sein de l’entreprise.
L’arrêt du 14 avril rappelle ainsi que « l’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur […], une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients ».
En l’occurrence, « aucune clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail n’était prévue dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur », constate l’arrêt.
En conséquence, « l’interdiction faite à la salariée de porter un foulard islamique caractérisait l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses de l’intéressée ».
Interdiction non justifiée par une exigence professionnelle
Restait à déterminer si cette discrimination directe pouvait malgré tout être justifiée par une exigence essentielle et déterminante, comme le prétendait l’employeur.
Renvoyant à la jurisprudence Micropole de la CJUE, l’arrêt en rappelle la définition : la notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante « renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client » (CJUE, 14 mars 2017, aff. C-188/15). La chambre sociale en tire logiquement pour conséquence que « l’attente alléguée des clients sur l’apparence physique des vendeuses d’un commerce de détail d’habillement ne saurait constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante ». N’était donc aucunement recevable, l’argumentation de l’employeur « qui était explicitement placée sur le terrain de l’image de l’entreprise au regard de l’atteinte à sa politique commerciale, laquelle serait selon lui susceptible d’être contrariée au préjudice de l’entreprise par le port du foulard islamique par l’une de ses vendeuses ». La nullité du licenciement a été confirmée.
Source : Cass. soc., 14 avril 2021, no 19-24.079 FS-P.